Intervention de Hanane Karimi, en tant que porte parole de "Femmes dans la mosquée", lors de l ’atelier "Femmes, Religion et Emancipation"

, par Soumia

Femmes, Religion et Emancipation

Le CFPE me demande d’intervenir en tant que porte-parole des « Femmes dans la mosquée ». On pourrait trouver que la question de la place des femmes dans une mosquée est une question anecdotique, que des problèmes bien plus préoccupants touchent les femmes musulmanes. Et pourtant, cette revendication qui semble, aux premiers abords, être une revendication de confort, est en fait une contestation symbolique et exemplaire (dans le sens où elle expose un autre possible) venant exprimer un malaise profond dans la communauté religieuse musulmane. Qu’une mosquée d’obédience salafiste sépare les hommes des femmes est un choix qui ne nous aurait pas choqué, mais lorsque cela touche une mosquée emblématique dans le paysage de l’islam de France telle que la Grande Mosquée de Paris, est insoutenable. Insoutenable à plusieurs niveaux. D’abord parce que cela est la marque d’une régression pour cette mosquée qui n’offrait déjà pas une place courtoise aux femmes qui étaient parquées derrière un rideau faisant office de barrière visuelle et symbolique entre l’espace esthétique et relationnel des hommes et l’espace, réduit et fermé, qui était offert aux femmes. Deuxièmement, parce que cette décision s’inscrit en porte à faux des prêches humanistes et médiatiques de son recteur Dalil Boubakeur et troisièmement parce que pour un lieu touristique comme celui-ci, offrir à la vue des touristes une affiche indiquant « salle de prières des femmes (sous-sol) » est tout simplement scandaleux !
Dans ma présentation, je vais vous rappeler les éléments principaux dans l’affaire les « Femmes dans la mosquée », la deuxième partie de mon intervention portera sur les enjeux de l’invisibilisation des femmes dans les mosquées et enfin je finirai par la présentation d’initiatives à l’international qui sont sœurs « des Femmes dans la mosquée ».

I° Naissance des Femmes dans la mosquée
Au début, nous pensions que cette ségrégation était due au fait d’avoir bricolé les mosquées historiquement et financièrement en France. Ce qui aurait été vrai, si nous n’avions pas constaté la même problématique soulevée dans d’autres pays qui s’exprime comme une ségrégation violente et insultante à l’égard des femmes. Alors, quand la grande mosquée de Paris a décidé, à partir de la décision d’un imam, de reléguer les femmes dans une salle au sous-sol, c’est un sentiment d’injustice qui nous a saisies, nous, femmes musulmanes, quant au double sort que nous subissons dans une société française postcoloniale qui stigmatise notre pratique religieuse à travers le voile qui serait contraire au principe de la laïcité française et dans une communauté d’appartenance religieuse qui a glissé vers une pratique patriarcale injuste. Est-ce normal que ce soit à la mosquée que certaines femmes musulmanes se sentent le moins respectées ?

II° La femme essentialisée :
Le prêche qui a fait suite à notre action du 21 décembre 2013[1] donne un aperçu du pouvoir des discours sur les croyants. Mais il nous donne surtout une fenêtre sur la conception du statut des femmes dans le champ islamique pratiqué par l’imam de la mosquée de Paris. Ce prêche fût d’une véhémence et d’une violence à l’égard des femmes qui exprimait la colère d’avoir été dérangé dans l’ordre que les hommes avaient décidé. La femme fût donc rapportée à son manquement et à la Fitna  : la turpitude, le désordre. La femme fût donc décrite comme une menace pour les croyants et pour l’ordre phallocrate. D’abord une menace sexuelle, une tentation, et ce de la bouche de musulmans qui habitent une société où ils sont sollicités en permanence dans les médias qui leur vend un parfum de grande marque, entre le journal télévisé et le film du soir, à coup de beautés fatales qui offrent leurs corps dénudés, oniriques, irréels à leurs yeux…à leur portée. La logique de cette condamnation est que ce sont les femmes qui doivent payer la faiblesse des hommes face à la tentation, potentiellement excitables et c’est selon cette logique, pour le confort de la gent masculine, que les femmes sont officiellement « gentiment invitées », comprenez par là « forcées » à s’exclure des mosquées, des lieux de culte devenus exclusivement masculins mais aussi de se conformer à l’ordre masculin, et non plus à celui de Dieu. Nous, femmes, sommes prestement invitées à rester dans la sphère domestique et à ne pas outrepasser les limites qu’on nous assigne au risque d’être traitées de « faiseuses de troubles ou pire de 

féministes

 ! ».
Quels sont les enjeux d’une telle ségrégation ? Avant de voir les enjeux, j’aimerais revenir sur les arguments, les meilleurs comme les pires, qui nous sont opposés lorsque quelqu’une ose demander le pourquoi de cette ségrégation.

Les arguments :
1) Le premier est l’argument officieux, celui du bruit :
Les femmes sont bruyantes. Toutes les femmes sont bruyantes : c’est biologique, elles ne savent pas se tenir, elles sont indisciplinées ! « Même l’imam doit intervenir pour leur demander de la boucler ». Rien n’y fait « elles déconcentrent les fidèles en prière », entendez par-là : les hommes. Ce qui me fait penser à un article[2] paru dans La Croix sur les pleurs d’enfants pendant la messe qui devenaient un enjeu pour l’unité de la communauté.

2) Second argument, l’argument officiel : le manque de place :
Nous sommes allées vérifier et nous nous sommes rendu compte de l’hypocrisie de cet argument. Nous avons entendu le chargé de communication, Slimane Naddour, dire que cela entrait dans le cadre d’un réaménagement de la mosquée face à l’affluence croissante des femmes. Mais alors, nous sommes en mesure de nous poser la question :
Qui décide des mesures à prendre pour l’aménagement des lieux ?
Qui décide pour le lieu de prière dédié aux femmes ?
Qui décide de quel espace est alloué et organisé pour les femmes ?

Pour avoir une réponse il suffit de jeter un œil sur la composition de la majorité des comités de direction des mosquées.
Voici quelques répliques auxquelles nous avons eu droit :
« - Nous avons l’écran plasma dernier cri !
 Ce n’est pas un débarras, c’est la salle de prière des femmes !
 Et après ça vous demanderez l’imamat des femmes !
 Les femmes sont chanceuses, elles peuvent prier chez elles !

Ce qui est en contradiction avec la parole prophétique qui dit « N’interdisez pas à vos femmes de se rendre dans les mosquées » et la seconde partie « mais leurs maisons sont meilleures », n’est pas authentifiée car cette parole n’a été rapportée que par un seul narrateur. Mais c’est cet argument illégitime au niveau scientifique qui justifie auprès des croyants lambda l’exclusion des femmes et leurs assignations à la sphère domestique.

 Ce sont les femmes qui ont demandé la séparation !

Et le coup fatal :
 Prier à la mosquée n’est pas une obligation pour les femmes.

Je citerai ici Hakima Mounir qui a écrit le livre Ici et là-bas[3] et qui dit « L’intrusion des femmes dans cet espace masculin -l’espace public- perturbe l’imaginaire d’une société construite sur l’assignation des femmes à l’espace intérieur. La transgression de ces frontières est vécue par les hommes comme un danger remettant en question leur pouvoir sur l’espace extérieur et l’ordre social. »

Et donc on trouve des panneaux, « les femmes ne sont pas autorisées dans cette mosquée » ou « la salle des femmes est au sous-sol »

Il y a aussi cet argument très spirituel : « On ne vient pas à la mosquée pour admirer son architecture, on y vient pour prier ». Soit, alors pourquoi l’architecture prend une place esthétique et finançière si importante dans la construction des mosquées ?

*Les enjeux :
L’enjeu principal est la transformation des mentalités d’hommes et de femmes qui ont évolué dans une communauté sexiste et phallocrate. Alors que la base était le contraire, c’est-à-dire que la société jahilite s’est transformée d’une société injuste et inégale, sexiste et raciste en une société des possibles et de l’empowerment, de solidarité et de changement. Alors pour prendre conscience du chemin qu’il reste à faire, il est nécessaire de conscientiser les enjeux d’une telle invisibilisation des femmes, parce qu’accepter une telle ségrégation et un tel traitement encourage le « disempowerment » des femmes. :

* Pas de visibilité, pas de voix !
* Pas de visibilité, pas de défense ou de contestation du discours quel qu’il soit !
* Pas de visibilité, le meilleur moyen d’affirmer qu’il n’y a pas de demandes émanant des femmes.
* Pas de visibilité comme moyen de faire incorporer le corps des femmes comme danger. Pas besoin de longs discours, le symbolisme fait son chemin !

Et cette invisibilisation dans les lieux de culte n’est que le renversement de l’ordre établi par le prophète de l’islam qui avait nommé comme autorité religieuse, son épouse, encore jeune, mais érudite et ayant une très bonne mémoire. L’invisibilisation des croyantes dans les mosquées est donc l’aboutissement d’un processus qui a évincé graduellement les femmes des rôles décisifs, des rôles d’autorités, des cercles de savoirs, le savoir étant une légitimation du pouvoir, les femmes sont donc devenues illégitimes, ignorantes, minorisées et impuissantes au nom du sacré !
Et comme l’ignorance est le meilleur moyen de faire passer de fausses croyances, on a ainsi une diffusion incontrôlée de fausses croyances, non vérifiables (parce que ne maîtrisant pas suffisamment le côté scientifique). La séparation physique (rideau, paravent, salle séparée, balcon) imposée aux femmes musulmanes n’est qu’une partie des barrières institutionnelles qui les empêchent de participer activement aux affaires de la communauté, comme la majorité des mosquées sont dirigées par des hommes.

 

III° « Now it’s time » :
J’ai envie de faire part d’initiatives locales qui se multiplient dans des sociétés dites occidentales, aussi bien en Australie, en Angleterre, aux Etats-Unis ou en France. Une canadienne, répondant au nom de Shelina Merani, fraîchement convertie à l’islam, est l’une de ces femmes qui a vécu la désillusion de la Oumma comme unité de foi. Et elle fait un onewoman sho w[4] dans lequel elle parle de cet endroit et elle dit ceci : « Normalement lorsqu’on se rend dans un lieu de culte, on est censée se sentir comme Jésus « walking on water », transcendée, dans un état spirituel, moi quand je vais à la mosquée in the basement, (au sous-sol), ce que j’aimerais trouver, c’est un avocat, un défenseur des droits de l’homme et une rangée derrière les hommes. »

Un autre témoignage que j’ai trouvé sur le blog de Hind Makki « 

 Side entrance 

 »[5] qui répertorie par photos les lieux de prière des femmes dans les mosquées. Hawan Moghul dit ceci « Les mosquées sont emblématiques d’une société, elles sont le reflet de la société. Alors ce à quoi ressemble la zone des femmes dans les mosquées est important mais surtout (il faut se demander préalablement) y a-t-il une place pour les femmes dans ces mosquées ? Où se situe-t-elle ? (au passage des toilettes ?) Est-ce que le reste de la mosquée est conforme à cette zone dédiée aux femmes ? La manière dont les musulmans (hommes) considèrent la maison de Dieu en dit long sur ce qu’ils pensent de Dieu, et d’eux-mêmes. »

Lorsque le groupe « Les femmes dans la mosquée » fût lancé et comme je fus celle qui entretenait le groupe facebook, j’ai fait des recherches, et j’ai trouvé de ci, de là, des informations sur d’autres initiatives qui contestaient la ségrégation sexuelle pratiquée dans les mosquées. Et la question est présente dans la majorité des mosquées. C’est-à-dire que je contextualisais le problème, mais je me suis très vite rendue compte que les mosquées en majorité implantées en occident reproduisaient cette ségrégation. Et il est important d’utiliser les bons mots même si ceux-ci choquent, ils sont justes, nous avons à faire à une ségrégation sexiste systématique au service d’un pouvoir machiste.

Le Majordome sortait au même moment que notre action et le symbole de la ségrégation y était fort. Ce film m’a rappelé comme les changements historiques, sociaux et communautaires sont d’abord l’œuvre d’insoumis à un ordre injuste. Alors à l’heure où tout musulman a une fitra…il serait opportun de faire l’effort de la reconsidérer, de la rendre audible dans nos vies propres parce que cette fitra nous titille quand quelque chose nous paraît injuste et qu’elle est une des voix du changement. Dieu enjoint aux croyants de faire le bien et d’interdire le mal ; lorsqu’il ne peut le faire avec sa main, il le fait avec sa langue, lorsqu’il ne peut le réprouver avec sa bouche, il le fait avec son cœur. Et en tant que musulmanes fermement attachées au message émancipateur de l’islam, nous avons réprouvé le mal avec nos membres, nos bouches et nos cœurs.

 Conclusion :
J’ai envie de terminer cette présentation en rappelant que ceux qui ont semé cette graine de féminisme ou de position critique vis-à-vis d’un ordre immuable et établi sont en premier lieu les imams. Ces hommes qui ne cessent de rappeler que les femmes à l’époque du prophète étaient des femmes libres, qu’elles étaient des femmes actives, qu’elles étaient des femmes critiques, elles étaient des femmes responsables et fiables, qu’elles étaient des femmes justes, qu’elles étaient des actrices du changement de la justice sociale. C’est eux qui paradoxalement ont semé cette inaptitude à nous soumettre à quiconque si ce n’est à dieu.

Un grand écrivain français disait :
« Il vient une heure où protester ne suffit plus, après la philosophie, il faut l’action. La vive force achève ce que l’idée a ébauché. » Victor Hugo

 

Hanane KARIMI

[1] http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/grande-mosquee-de-paris-les-femmes-au-bas-etage-09-01-2014-3631_118.php
[2] http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Pleurs-d-enfants-un-casse-tete-pour-les-paroisses-2014-01-05-1084791
[3] Hakima MOUNIR, Entre ici et là-bas. Le pouvoir des femmes dans les familles maghrébines, PU Rennes, coll. « Essais », 2013 ;
[4] http://www.youtube.com/watch?v=sLxHu0zah_Q
[5] http://sideentrance.tumblr.com/